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Ballast cantonais

J'aime bien cette toile de Mary Cassatt, exposée au MET de New York. C'est la mère de son premier cousin qu'elle a peinte. Un toile de famille donc.


Mrs. Dickinson Riddle préside le five o'clock avec une autorité didactive, on peut penser qu'elle surveille le petit doigt levé de son commensal. La façon est impressionniste, l'histoire du tableau aussi. C'est la fille de Mrs. Riddle qui avait offert un beau service à thé en porcelaine bleue de Canton à la famille Cassatt. Mary Cassatt fit le portrait mettant en scène le service en guise de remerciement. Plus que la "finition" du voile en tulle, ce sont les segments anatomiques qui révèlent la maîtrise d'une peinture rapide et réussie. Le regard droit, les lèvres fermées, le visage sur collet monté, s'opposent à la mobilité de la main jaillie d'un poignet du même tulle. Le corps traité en noir n'est là que pour faire le volume, le poids, de cette autorité que la nappe de table et les porcelaines adoucissent.
Cassatt travaillait vite, mais à la différence des impressionnistes français, elle ne s'aventura pas au café du coin croquer le peuple ou sur les prairies à piqueniquer. Il lui fallait un décor et une intention. Son tableau est "parlant".

Les porcelaines bleu et blanc de Canton sont dites "Compagnie des Indes" puisque destinées à l'exportation dès le XVII° siècle. Elles ont été produites dans les fours impériaux réputés de Jingdezhen (province du Jiangxi) et souvent terminées dans les ateliers d'émaillage du port de Guangzhou avant emballage et embarquement ; d'où le nom de "porcelaine de Canton".
Les caisses de porcelaine furent longtemps utilisées comme ballast de charge par les capitaines des navires et celles achetées par les jeunes Etats-Unis atterrissaient à Salem et à Boston. Ces services de table, qui ne provenaient pas de la vieille Europe honnie, avaient les faveurs de la classe dominante américaine et de sa bourgeoisie naissante. On les retrouve en quantités aujourd'hui.
Les Jindezhen de la dernière dynastie Qing (1644-1911) sont les plus achevées en finesse et cuisson, et les plus prisées sont celles des règnes de Kangxi, Yongzheng et Qianlong. Mais elles se font rares, même chez nous.

A quoi reconnaît-on la porcelaine de Canton ? C'est Lorena O. Allen qui nous l'explique. La porcelaine de Canton est à l'origine une porcelaine d'usage et non pas de collection, dont les bords sont légèrement irréguliers. Le bleu et blanc est assez semblable à celui de la porcelaine impériale de Nankin, toutes deux montrant des villages côtiers avec leur maison de thé, des ponts "japonisants", des saules pleureurs, des rivières en méandres et des montaghes éloignées, rarement des personnages. Elles sont peintes à la main. La bordure du dessin de Canton est un lattis bleu limitant des volutes appelées "nuages", tandis que la bordure de Nankin est géométrique avec parfois un soulignement brun doré. La qualité esthétique et la tenue des couleurs de Nankin sont supérieures quand les pigments de Canton vont du gris-bleu au bleu-cobalt selon la température du four. Ces couleurs adhèrent toujours très bien sur le fond. Une autre caractéristique de Canton est la texture parfois un peu grossière de la porcelaine qui peut avoir emprisonné de la cendre de four, ce qui lui a valu le qualificatif de "flocons d'avoine".

Boire son thé dans une tasse "Compagnie des Indes" est déjà un grand voyage !

Le tableau :
Lady at the Tea Table, 1883 ou 85
Mary Cassatt (peintre américain, 1844–1926)
Huile sur toile, 74 x 61 cm, donnée par l'artiste au Metropolitan Museum of Art de New York City en 1923.

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