Je rentre des Wuyishan, pays du thé de roches, et je vais vous expliquer comment ils font un wulong (oolong), en jargonnant le moins possible, avec juste un zeste de "science" pour vos dîners en ville. La procédure a été fixée par Lu Tingcan, juge au comté de Chongan, avant la mort de Louis XIV, laquelle fut annoncée par ses ministres à l'empereur Kangxi d'une formule lapidaire qui en disait long sur le prestige du royaume de France jadis : "Le Roi est mort !".
La récolte commence dans la troisième semaine d'avril ou la première semaine de mai si la météo est défavorable, en tenant compte aussi du décalage entre les calendriers lunaire et grégorien. Dès que le chef de culture donne le signal, les jardins escarpés se couvrent de taches multicolores, ceux sont les cueilleuses, et de cohortes d'hommes de peine chargés de paniers en bascule qui approvisionnent les fabriques.
Le thé est cueilli dès que disparaissent les fins cheveux blancs à la surface des feuilles. On prend trois ou quatre feuilles terminales sur la branche selon maturité, sachant que la cueillette gouverne tout le processus. Il ne faut pas mélanger les rangs de théiers différents. On ne prend pas de bois, on ne brise pas les feuilles, on ne saigne pas la branche. Le chef de culture observe son jardin en continu et dirige ses équipes en dessinant déjà la prochaine taille de production.
Les paniers pleins des cueilleuses sont enlevés par les porteurs qui descendent le plus vite possible à la fabrique. C'est à deux ou trois kilomètres du jardin, parfois mais rarement dix. Dans les Wuyishan, l'escarpement des terrains et la proximité de profonds ravins donne à ce travail une pénibilité particulière augmentée par la vitesse resquise pour prévenir un début de fermentation des fonds de panier. J'ai soulevé une bascule à deux paniers, ce n'est pas un jeu d'enfants et je les ai bien fait rire.
Arrivés à la fabrique, les paniers sont répartis selon la taille des feuilles pour partir au séchage. Le séchage orthodoxe se fait dans des paniers à vanner que l'on dispose sur de grandes claies de bambou en plein soleil. Les exigences de la production organisent aussi le séchage sur rack ventilés et chauffés, procédé qui prend moins de place au sol. Le but est de faire tomber le taux d'humidité des feuilles au seuil requis par le processus suivant, qui est sous la responsabilité exclusive du maître de thé.
C'est le "zhuo qing", de l'art pur, qui va faire le thé voulu dans cette saveur particulière au thé de roche de Wuyi. Appelons-le "remuage" sous atmosphère contrôlée. Cela prend du temps. Il s'agit de rompre les cellules de la feuille pour amorcer l'oxygénation de l'enzyme qui va faire fermenter le thé. Le maître fait danser les feuilles dans le panier à vanner en observant le brunissement, le développement de la fragance pour anticiper la saveur du produit fini. Le stade choisi étant atteint, les feuilles vont immédiatement prendre un coup de feu à 250°C pour fixer leurs composants aromatiques.
On va maintenant former le thé, tel que vous le trouverez dans votre sachet chez le marchand. On frotte d'abord les feuilles à pleines poignées en les roulant pour parfaire les interactions des cellules et exuder l'humidité résiduelle. Les poignées de feuilles formées sont jetées dans des tamis de bambou fermés qui sont présentés au feu de charbon de bois en les remuant constamment et vigoureusement, en plusieurs passes pour alterner feu vif et feu doux. Il s'agit d'arrêter toute évolution chimique du thé.
Vient maintenant le tri commercial du produit dans de grand plateaux à vanner. On extrait le petit bois, les particules déformées et la poussière par tamisage. On vérifie le stade de transformation atteint, puis le thé (on peut l'appeler ainsi désormais) remis en corbeille de bambou, est enfourné dans des fours à charbon de bois à température modérée pour torréfaction. C'est le "bei huo gong". Les fragrances qui s'exhalent du four successivement désignent au maître de thé la qualité recherchée. C'est fini. On va au conditionnement, le thé refroidira en chemin.
Le "Wulong" des Wuyishan n'a pas le reflet bleu-émeraude des Oolongs formosans. Il est plus sombre à la feuille, plus subtil aussi. L'article du mois de mars vous en dit un peu plus. Pour terminer, la descente en radeau de la rivière, bien que très "pour touriste" est un agréable rafraichissement.
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